Deux hommes s'échangent des conseils

Publié le 27 Juin 2016

Deux hommes s'échangent des conseils

    Eddie Van Bismarck s’était fait prendre la main dans le sac par un agent de sécurité dans un centre commercial. Il fut accusé de n’avoir pas payer les bouteilles d’alcool qu’il avait caché sous sa veste. C’était juste avant que les bouteilles ne passent aux travers de ses poches intérieur qu’il avait spécialement conçu à l’occasion, et ne viennent se briser sous les yeux de l’agent de sécurité qui passait à ce moment là.

    La caissière qui s’était occupé des autres achats d’Eddie avait poussé un cri d’étonnement et avait bondi de sa chaise au son du verre se brisant par terre. L’agent de sécurité s’était arrêté net, se tournant dans un premier temps en direction de la caissière, stupéfié par le cri cristallin de cette dernière, semblable au son d’un doigt qui aurait fait chanté les verres; puis, dans un deuxième temps, se tourna en direction d’Eddie.

    - Tiens ! Tiens ! Tiens ! dit l’agent de sécurité d’un air circonspect, comme s’il n’était pas sûr qu’il avait pêché le seul poisson de la journée. Mais qu’est-ce que nous avons là ?    

    - Un voleur pour sûr, donna comme simple explication la caissière.

    Eddie était resté imperturbable. Ni le cri et le saut de chaise de la caissière, ni la présence de l’agent de sécurité ne lui avaient fait changé d’attitude. En fait, ce n’était pas une première pour Eddie; non pas d’être pris la main dans le sac (c’était sa première fois), mais le simple fait de voler lui était devenu une habitude et dès lors, il avait acquit une sérénité sans faille. Cette habitude émanait de ses pulsions dont le seul désir provenait de cette tendance à vouloir tout, tout de suite.     

    C’était dans sa plus jeune enfance, vers l’âge de trois ou quatre ans, que Eddie en avait pris goût. A cette époque, et avant qu’elle ne le découvre grâce à un test, sa mère essayait de lui apprendre la valeur des choses. Elle savait qu’en sa présence, il ne s’y risquait pas. Mais en son absence, elle n’avait ni oeil, ni contrôle sur lui. Ce test se réalisait à l’aide de bonbons. Eddie avait le choix entre manger un bonbon de suite ou bien, s’il avait fait preuve de patience en ne mangeant pas le bonbon durant l’absence de sa mère, il aurait le droit à en manger deux à son retour. Avec cette aisance naturelle qui ferait de lui un voleur et un pickpocket de grande classe, il avait saisit le bonbon avec fougue, pensant qu’on l’observait et faisant croire que le bonbon avait disparu comme par enchantement - c’est ce qu’il ferait croire à sa mère.

    Plus tard, au fur et à mesure que Eddie grandissait, ses pulsions se faisait plus fréquentes. Et lorsqu’il était éprit de ses pulsions, il devait passer immédiatement à l’action, sans réflexion au préalable. Ce manque de réflexion auquel Eddie était assujetti lui valut de voler tout ce qui se présentait devant lui; n’importe où, n’importe quand. Il fut bien des fois où le manque d’argent déclenchait en lui l’homme voleur qu’il était. Son impatience lui faisait défaut et il n’arrivait guère à différer ce désir.

    L’agent de sécurité avait amené Eddie dans une petite salle isolée. Il avait rempli un dépôt de plainte qui allait être obligatoirement envoyé au procureur, selon ses dires. Mais Eddie savait qu’il ne risquait pas grand chose. Il n’était pas sur la liste rouge du magasin, comme l’avait constaté l’agent de sécurité.

    - Mais je vais vous y faire inscrire, fit le pêcheur de poissons. En cas de récidive, il y aura plainte et poursuites pour vol.

    Avec son aplomb légendaire, Eddie s’était autorisé une petite réflexion: 

    - Comment voulez-vous que les gens ne volent pas dans ce fichu pays ! Tout augmente, sauf notre pouvoir d’achat. Tout est dû aux autres, et nous, il nous reste que des miettes ! Ah, il est beau le capitalisme ! Moi je suis sûr qu’en ce moment même, d’autres personnes sont en train de voler de la nourriture à défaut de manger que des patates. Comment faire autrement s’ils veulent avoir une vie à peu près décente ?

    L’agent de sécurité fut plus que compréhensif. Lui-même avait des difficultés à boucler les fins de mois. Pour autant, cela n’excusait en rien la tentative de vol de Eddie. Le mieux était de se serrer la ceinture, comme il disait, et d’attendre les jours meilleurs.

    Après que Eddie eut payé les deux bouteilles, l’agent de sécurité l’avait laissé partir, faute de pouvoir faire mieux. Ce dernier était bien loin du compte. En effet, si Eddie n’était pas un récidiviste, c’est qu’il ne s’était pas fait prendre jusqu’à maintenant. Le test des bonbons avait eu raison de lui. Il était devenu un excellent voleur et avait cette dextérité dans les doigts qui pouvait laissé pantois. Dans la rue et lorsqu’une pulsion envahissait son corps, il devenait ce pickpocket hors-pair; le même jadis, lorsqu’il avait subtilisé ce bonbon tant désiré. Il reconnaissait en lui cette aptitude dont il était passé maitre. 

    Non loin de lui, quand il sortit du centre commercial, un homme dont l’expression du visage reflétait une certaine admiration, avait assisté aux performances du voleur et s’était offert une vue imprenable. Il l’avait suivi depuis le matin lorsque Eddie s’occupait à voler les portefeuilles des passants jusqu’à ce centre commercial où il s’était fait prendre la main dans le sac.

    Cet homme au sourire admiratif avait la pensée négative. Il avait cette peur de ne pouvoir jamais réussir telle ou telle action. Il se reprochait son échec et l’avait classifié comme un trait de caractère non modifiable. 

    William, de son prénom, était un joueur de hockey sur glace remplaçant. La pensée de se blesser lui évitait tout contact avec les autres joueurs. La pensée de mal faire les choses et de finir par échouer l’avait paralysé. Sa mère se faisait également un sang d’ancre. Elle était anxieuse et appréhendait le jour où William glisserait de nouveau sur la glace; et l’image de le voir se blesser - car c’est ce qu’il lui répétait en boucle et il en était convaincu - devenait insupportable pour sa mère. La décision du coach de le mettre sur la touche à la vue de ce qu’il montrait aux entrainements scella dès le premier match de la saison, sa place au sein de son équipe.

    Telle était l’opinion qu’avait William de lui-même. Les raisons qui l’avait amené à suivre Eddie jusqu’au dénouement final n’était qu’une quête. Si la recherche est une réponse, quand était-il de la question ? William n’avait plus besoin de chercher. La réponse qu’il avait tant espéré se trouvait en cet homme. Quant à la question, il l’avait également trouvé et se la poserait sans cesse.

    Pour autant qu’il le savait, la route qui l’amènerait vers sa quête comportait un problème. Il devait approcher Eddie et pour cela, il devait trouver comment. Il savait qu’il était un pickpocket et qu’il n’utilisait l’argent emprunté dans les portefeuilles que pour payer sa nourriture et ses autres petits achats - du moins c’est ce qu’il en avait déduit de sa petite enquête. 

    « Peut-être aura t-il besoin de récupérer l’argent dépensé dans le remboursement des bouteilles », se demanda William. 

    C’est alors qu’il décida de servir d’appât en mettant son portefeuille dans la poche arrière gauche de son jean, en le laissant dépasser légèrement. Il n’aurai plus qu’à attendre que la main de fée use de sa technique. 

    Tout en se rapprochant de sa cible, William s’arrêta devant la vitrine d’un disquaire, se penchant un peu en avant pour admirer les quelques disques disposés sur une table ronde. Dans le reflet de la vitrine, il apercevait Eddie venir doucement à lui. Mais même alors qu’il le voyait, il n’avait aucunement senti son portefeuille se dérober de la poche arrière de son jean. Ce n’est que lorsqu’il regarda à nouveau à travers la vitrine et qu’il vit que Eddie tournait les talons, qu’il lui prit le bras pour l’arrêter.

    - Tiens ! Tiens ! Tiens ! dit William en reprenant la même formule que l’agent de sécurité, et qui retenait toujours la main voleuse. Qu’est-ce que nous avons là ?

    - Cela ressemble fort bien à un portefeuille, fit Eddie d’un air chiffonné. Deux fois dans la même journée !

    - Oui je sais.

    - Qu’est-ce que vous savez ? s’interloqua le pickpocket.

    Tout en lui annonçant qu’il l’avait suivi et vu se faire prendre la main dans le sac, William reprit son portefeuille et le remit dans sa poche arrière de jean.

    - Puis-je vous demander pourquoi vous m’avez suivi ?

    - Pour une simple question, répondit William. Comment diable faites-vous pour être aussi sûr de vous ? Je veux dire, lorsque vous volez ?  

    A cette question, Eddie n’avait pas de formule magique. Quand William la lui avait posé, il avait répondu: « la pensée positive, monsieur. » Et il avait continué ainsi, en disant à William que dès lors, nous devions nous poser des questions sur les raisons de nos échecs. Comme toujours, il y a une mise en abîme qui nous montre dans chaque tableau une représentation de nos échecs et où, un élément qui, s’étant glissé à un endroit du tableau, nous indique la marche à suivre. Aux dires d’Eddie, William n’en avait pas vraiment saisi le sens. Il en était resté perplexe. Une mise en abîme ? répétait-il dans sa tête, sans faire de rapprochement entre cette mise en abîme et son problème de refus d’optimisme. 

    « Une sorte de carte routière en sens inverse, si vous préférez, et qui vous montre les différentes étapes qui ont abouti à votre échec », simplifia Eddie devant la difficulté qu’avait William à s’imaginer son tableau.  

    C’était avant tout une histoire de pesage. Le pour et le contre afin de faire des faiblesses, des forces; l’utilisation d’autres voies ou leur changement si ces dernières ne pouvaient ne pas être atteintes; de diviser les tâches pour les rendre plus faciles à réaliser.

    A ce moment là, William commençait à visualiser de mieux en mieux ce qu’avait voulu dire Eddie. Le pickpocket en profita à son tour pour lui poser une question car il voulait connaître les raisons de cette demande. Il pensait tout d’abord que William était également un voleur pour le simple fait qu’il avait été surprit de sa réaction et de cette main qui l’avait empêché de partir; puis, qu’il avait peut-être besoin de conseils et d’un peu d’assurance. Mais quand William lui raconta son histoire, il en était tout autre. D’ailleurs, il jugea que son histoire n’était pas pire que la sienne. Chacun avait ses problèmes et chacune d’entre elles, les histoires, avaient son lot de conséquences dramatiques.

    Comme pour Eddie, William voulait aidé le pickpocket afin de lui renvoyer l’ascenseur en lui donnant quelques conseils. Le pickpocket raconta à son tour son histoire et d’où provenaient notamment ses pulsions. La patience, William en maîtrisait l’aptitude. Il avait attendu toute une saison en espérant trouver un jour la force pour jouer au hockey; de montrer ce qu’il valait réellement, de ne plus porter ainsi sur ses épaules, cette dévalorisation qu’il avait de sa personne. Il avait conseillé à Eddie de travailler justement sur cette patience pour ainsi prendre le contrôle sur ces pulsions soudaines. Et à cela, il devait y avoir intérieurement, une clé qui mettrait fin à tout.

    -  Qu’est-ce qui serait assez fort pour vous au point que cela fasse détourner votre attention de la tentation, proposa William ?

    Dans un geste d’une subtilité et d’une élégance inégalée que l’on pouvait même pas lui soupçonner, à moins de le connaitre en personne ou de l’avoir vu faire comme ce fut le cas pour le joueur de hockey, Eddie sortit une photo d’un portefeuille. Il était difficile de savoir s’il lui appartenait ou s’il fallait l’attribuer à l’un des portefeuilles volé plus tôt dans la journée. Quand Eddie annonça que la personne sur la photo n’était autre que sa mère, sa bienfaitrice, William eut la quasi certitude qu’il détenait en celle-ci, la clé de son repentir.

    - Elle doit être aussi déçue que lorsque j’avais mangé le bonbon durant son absence quand j’étais petit.

    - Votre mère ?

    - Oui.

    - Oh, je vois, fit William traversé par un éclair de génie. Imaginez que chaque produit que vous volez contient la photo de votre mère. 

    Eddie esquissa un sourire. Après cet échange fort en bons conseils, les deux hommes se serrèrent la main et repartirent chacun de leur côté. Eddie n’en avait pas pour autant oublié l’essentiel. Dans un mouvement de légèreté avec les deux doigts de sa main, il chipa pour la deuxième fois le portefeuille de William. Peut-être le dernier coup de sa vie.

Rédigé par A.D

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