Une histoire d'influence - chapitre 1: l'affaire qui ne s'était pas conclue

Publié le 4 Juillet 2016

Une histoire d'influence - chapitre 1: l'affaire qui ne s'était pas conclue

    Elle le soupçonnait de lui mentir. Et comment pouvait-elle savoir s’il était intègre et qu’il n’allait pas continuer ? Elle en avait parlé à son psychanalyste: 

    - Je crois que Bert est un menteur ou un mythomane, dit Denise. 

    - Quelle preuve avez-vous à me fournir ?

    - Je pense qu’il me ment ! Ca c’est une preuve ! Et qui me dit qu’il ne m’a pas menti pendant tout ce temps-là ? Certainement pas vous.

    Le psychanalyste en avait fait part à un confrère; un psychologue, psychiatre et aliéniste français qui était spécialiste dans les maladies mentales. 

    - Il est peut être un peu tôt pour en conclure à un mythomane, dit le spécialiste au psychanalyste. A la limite, c’est un simple menteur.

    Le psychanalyste confia à Denise tout ce qu’elle devait savoir sur la traque d’un mythomane, d’après les connaissances du spécialiste à ce sujet. Au contraire d’un menteur qui à conscience de ses mensonges, le mythomane vit à l’intérieur comme s’ils étaient son oxygène et en fait sa réalité. Il s’invente des histoires plus rocambolesques les unes que les autres où il joue le personnage vedette et à cela, Denise ne savait pas si Bert était le héros de ses mensonges; la manipulant elle, ainsi que les autres. Elle n’avait d’ailleurs aucune idée s’il se conférait d’un amour pour lui-même, dans un monde fantasmatique où son errance mentale et géographique le pousserait à partir toujours plus loin. « Cette nécessité d’embellir la réalité pour un besoin de puissance et de prestige », comme l’avait expliqué le spécialiste au psychanalyste. 

    Mais Bert croyait-il en ses mensonges ? songea Denise. Si oui, alors il ne serait qu’un simple menteur. Mais elle ne le savait pas. Pas plus qu’affirmer si Bert possédait les signes de la mythomanie. Néanmoins, se disait-elle, si on ment une fois alors on peut mentir deux fois, trois fois et ainsi de suite, et la mythomanie ne serait peut-être qu’à un mensonge. 

    - Vous me demandez de le convaincre d’aller consulter ?

    Le psychanalyste haussa les épaules marquant ainsi une simple suggestion qu’il traduisait aussitôt par une réponse légitime. 

    - S’il s’avère être un mythomane, précisa le psychanalyste, car on n’accuse pas une personne sans preuve. Même si Bert est votre mari.

    - Encore faudrait-il le convaincre d’aller consulter.

    - Encore faudrait-il qu’il soit un mythomane, souligna le psychanalyste.

    Dans le bar chez Kozak à Rivière-Du-Loup, Québec, Bert était accoudé au comptoir. Il arborait un sourire éprouvé et ses yeux pénétrants ne pouvaient qu’envoûter. Les seuls moments où l’on pouvait entrevoir ce portrait saisissant de son visage était lorsqu’il se coiffait les cheveux en arrière - ce qui n’arrivait que très rarement; et ces rares moments se passaient uniquement lorsque Bert se situait dans un bar. En dehors et le reste du temps, Bert négligeait sa chevelure. Il leur donnait des aspects aussi extravagants que des histoires de mythomanes. Un jour, ses cheveux pouvaient prendre la forme d’un rideau à bande lui cachant les yeux comme ceux que l’on peut voir dans un encadrement de porte séparant une pièce d’une autre; un autre jour, cela pouvait être une petite mèche courbée qui se serait glissée le long de son front jusqu’au sommet de son nez, et qui, avec sa moustache d’une bonne taille et de forme arrondie semblable un arc-en-ciel, laisserait apparaître au milieu de sa tête ronde l’emblème de la célèbre marque automobile Mercedes. 

    Cependant, Bert gardait une posture très ouverte. Posture que l’on pouvait observer lorsqu’il buvait un whisky, un lagavulin seize ans d’âge avec un geste d’une telle précision et d’une telle délicatesse, qu’on aurait pu croire qu’au moindre mouvement brusque de ce dernier, que le whisky pourrait en perdre de sa fumerie et de sa boiserie. Les raisons de son comportement ainsi que la métamorphose de sa chevelure ne pouvait être qu’élucider dans un bar.

    Johnny, un homme dont il ne fallait pas le juger à ses vêtements, arriva à son rendez-vous au bar chez Kozak avec presque trente minutes de retard. La journée, il était habillé d’un traditionnel costume trois pièces d’une marque italienne. Le soir - et ce changement lui prenait un certain temps - il repassait chez lui pour se changer. Il troquait son costume d’homme d’affaires pour enfiler un ensemble plus décontracté, composé d’un pantalon en cuir de rock star et des santiags modèle Juarez noir et rouge, cuir vachette, talon incliné et doublure pleine fleur porc. C’était également le seul moment où l’on pouvait apercevoir quelques tatouages sur son torse car il portait la chemise à demi ouverte. Et lorsque qu’il faisait tombé la veste et qu’il retroussait les manches de sa chemise, d’autres tatouages apparaissaient sur ses bras. 

    Quand Johnny aperçut son rendez-vous, ce cher Bert, qu’il connaissant bien par le biais des affaires ainsi que sa femme avec qui il avait déjà conversé, il vit ce dernier en compagnie d’une jeune femme de belle allure, à la robe longue fendue verte à dos nu et au décolleté devant échancré. Couleur d’espérance ou de chance dans le cas de Bert voyant le retard de Johnny avec qui il avait rendez-vous et cette rencontre fortuite avec cette superbe femme; mais synonyme d’échec et d’infortune pour Johnny qui se rappelait que Molière serait mort sur scène portant ainsi un vêtement de cette couleur. Bien différente également de Denise, qui elle optait pour un style plus bohémien ou celle-ci portait des foulards noués façon gitane dans les cheveux comme une gitane bohème et saltimbanque.         

    Marchant en sa direction, puis s’accoudant non loin d’eux à hauteur du comptoir séparé par un homme ingrat - qui sans doute broyait du noir par manque de reconnaissance en voyant que les femmes semblaient être intéressées par les hommes comme Bert et non par des hommes comme lui -, Johnny suivit la conversation entre Bert et la jeune femme. Ce dernier racontait précisément qu’il était un grand médecin humanitaire ayant soigné plusieurs populations dans un contexte de crise; qu’il n’était ni marié, ni en couple et qu’il était libre pour la soirée et même pour toute la nuit. Aux dires de Bert, Johnny manqua de s’étouffer. Le jus de tomate était mal passé et avait prit une toute autre direction - une mauvaise, bien évidemment. Tout comme les mensonges de Bert puisqu’il n’était pas un médecin mais un homme d’affaires. Sa dernière affaire en date - une immanquable, comme disait Bert - et sur laquelle il était sur le coup, l’avait conduit à s’associer avec Johnny afin de lui en faire profiter. Autre détail qui n’avait pas échappé à Johnny, Bert était en couple et qui plus est, était marié à Denise. Aux yeux de Johnny, sa femme méritait un peu plus de respect. 

    C’est alors que Johnny se leva de son tabouret. Il prit un air efféminé puis contourna l’homme qui était passé du regard vide aux pleurs et embrassa Bert sur la bouche. Se tournant dans un premier temps vers la jeune femme puis vert Bert, il lui demanda: 

    - Qui est cette grande girafe, mon chou ?

    - Je croyais que tu n’était pas en couple ? dit la femme d’un ton surpris. 

    - Moi ? Lui ? bafouilla Bert, à peine remis du baiser qu’il avait échangé sans consentement avec Johnny.

     A son tour, la jeune femme se leva du tabouret. Johnny ne put se contenter de reluquer ses longues jambes semblable au cou d’une girafe.

    - Cela t’aurai écorché le sexe de me préciser que tu les aimais elles aussi, fit-elle en reluquant un début de tatouage sur le torse de Johnny.

    Sur cette phrase tonitruante, la grande girafe à la belle allure tourna les talons et partit dans le méandre de la foule. Bert ne fut pas ravi car Johnny avait cassé son coup alors qu’il était sur le point de conclure.

    A la fin de cet épisode, les deux hommes s’installèrent dans un coin du bar pour parler business. Bert avait commandé un whisky, contre un jus de tomate pour Johnny. Bert fit part à Johnny du coup sur lequel il était et lui demanda, par la même occasion, ce qu’il en pensait et éventuellement d’émettre une réponse quant à celle-ci. 

    - Ecoute moi bien Bert, commença Johnny, tu as menti à cette jeune femme au sujet de tes soi-disantes missions humanitaires et sur Denise. Comment pourrais-je savoir si tu es vraiment intègre et que ton affaire n’est pas un ramassis de conneries ? Sur ce point, nous allons pas conclure l’affaire.

    Après avoir fini son verre, Johnny quitta Bert le laissant seul. En sortant du bar, il vit l’homme qui passa du regard vide aux pleurs en compagnie de la femme aux superbes longues jambes. Ils étaient assis sur un banc, en face de la sortie et devaient sûrement faire connaissance. Cette vue sur ces deux jeunes gens dont la lune bien ronde en cette soirée d’été, les éclairant comme des projecteurs qui seraient braqués sur eux, eût saisi Johnny d’une observation. Et si Bert n’était pas non plus un homme d’affaire comme il prétendait l’être ? 

    Comme l’avait dit le spécialiste au psychanalyste, ils nous est impossible pour l’heure de définir le degré de lucidité d’un mythomane.

Rédigé par A.D

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article